Le réchauffement des océans revu à la hausse

13 Fév

Le réchauffement des océans revu à la hausse

Une nouvelle étude parue dans « Science » révise les températures de référence, trop basses, et permet de confirmer les modèles climatiques.

Plumes of smoke flow towards the Pacific ocean as seen Friday, Nov. 9, 2018, from a helicopter over the Malibu section of Los Angeles. (AP Photo/Mark J. Terrill)

Panaches de fumée au-dessus de l’océan Pacifique, depuis un hélicoptère près de Los Angeles, le 9 novembre 2018. Mark J. Terrill / AP

Etudier le réchauffement océanique, c’est être aux premières loges des changements planétaires à l’œuvre. Les vastes étendues d’eau salée régulent la machine climatique en absorbant plus de 90 % de l’énergie attribuable au réchauffement planétaire. Or une étude publiée vendredi 11 janvier dans la revue Science a largement revu à la hausse l’évolution de leur température entre 1971 et 2010.

L’équipe internationale, menée par le chinois Lijing Cheng, s’est appuyée sur quatre études publiées entre 2008 et 2018 pour actualiser les séries temporelles des températures de l’océan. Elles mesurent la chaleur accumulée par ce dernier, nommé « contenu thermique de l’océan » (OHC pour « ocean heat content »).

Leurs résultats suggèrent que les chiffres utilisés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) étaient bien inférieurs à la réalité. Entre 1971 et 2010, l’OHC aurait ainsi grimpé annuellement de 0.36 à 0.39 watts par mètre carré (w/m²). Soit presque deux fois plus que les chiffres retenus par le cinquième rapport du GIEC datant de 2013, qui situait cette hausse annuelle entre 0,2 et 0,32 w/m² sur la même période.

Les scientifiques apportent ainsi de nouveaux arguments face à la théorie d’une « pause » dans le réchauffement climatique, comme le rappelle Damien Desbruyères, chercheur à l’Ifremer :

« Entre 2000 et 2009, la température de surface de l’océan, mesurée par satellites, est restée stable : tout le monde s’est alors dit que le réchauffement climatique se ralentissait. En réalité, le mécanisme probablement responsable de cette pause, c’est que la variabilité naturelle des grands courants marins modifie la redistribution de la chaleur entre la surface et les grandes profondeurs. »

Loin du décrochage annoncé par certains, l’étude note même une accélération de la température océanique pour la période récente, estimée entre 0.55 et 0.68 w/m² après 1991. « L’augmentation établie et continue de l’OHC indique que la planète est de toute évidence en train de se réchauffer », concluent les scientifiques.

A défaut d’être réjouissants, ces résultats sont en adéquation avec les algorithmes utilisés par le GIEC pour modéliser le climat dans son ensemble. « Nous savons maintenant que les modèles mis en œuvre par le GIEC sont plus performants que nous le pensions », constate ainsi John P. Abraham, chercheur à l’université de Saint-Thomas aux Etats-Unis et coauteur de l’étude.

Un obstacle : l’immensité du terrain d’étude

Dans le cas du scénario le plus proche du respect de l’accord de Paris, les scientifiques projettent désormais une hausse de 1 037 zettajoules (1 021 joules) de l’OHC d’ici la fin du siècle. Les prévisions doubleraient pour un scénario sans diminution importante des émissions de gaz à effet de serre, portant ce chiffre à 2 020 zettajoules. A titre de comparaison, c’est l’équivalent de 4 000 fois la consommation annuelle énergétique de l’humanité, qui est d’environ 0,5 zettajoules.

L’immensité du terrain d’étude constitue pour les scientifiques le principal obstacle à une meilleure compréhension des températures océaniques. L’océan couvre en effet 71 % de la surface du globe et atteint par endroits 11 000 mètres de profondeur. Sa température est loin d’être uniforme.

Entre 1940 et 2000, les chercheurs utilisaient des sondes bathythermographes (XBT en anglais), sorte de thermomètre muni d’un nez en plomb. Lancées depuis la surface, elles filaient au fond de la mer en transmettant leurs mesures. S’ils possédaient l’avantage de pouvoir être utilisés sans nécessiter l’arrêt du bateau, ces instruments à usage unique se heurtaient à l’impossibilité de couvrir l’ensemble de l’océan.

« Les nouvelles corrections des biais imputés aux XBT, tout comme la réduction de l’impact du sous-échantillonnage de certaines parties de l’océan, nous suggèrent de revoir à la hausse les estimations du réchauffement océanique » constate Damien Desbruyères.

Mémoire des épisodes climatiques

Pour pallier ces limites, la communauté scientifique peut compter depuis les années 2000 sur les mesures du programme international Argo, un réseau de 3 900 flotteurs dérivant aux quatre coins du globe à 1 000 mètres de profondeur et programmés pour effectuer des plongées jusqu’à 2000 mètres. S’il permet d’augmenter la résolution spatiale et temporelle des données collectées, le programme ne résout pas une inconnue majeure : l’absorption de l’excédent de chaleur par les abysses.

De récentes recherches ont pourtant démontré que les profondeurs de l’océan conservaient une forme de mémoire des épisodes climatiques sur de longues périodes. « Argo ne mesure finalement que la moitié du volume total de l’océan. Il y a encore de grosses incertitudes sur la contribution de l’océan profond », explique Damien Desbruyères. « Pour avoir une image plus complète, nous avons besoin de capteurs qui puissent aller au-delà de 2 000 mètres », souligne également John P. Abraham. Ce sera tout l’enjeu de la flotte « Deep Argo » en cours de déploiement, et dont les sondes pourront atteindre les fonds marins.

La modification de la température de l’océan n’est pas qu’un indicateur du dérèglement climatique. Outre ses effets sur la biodiversité, son réchauffement provoque sa dilatation et donc l’élévation du niveau de la mer, renforcée par la fonte de la banquise et de la glace terrestre (glaciers, inlandsis). Il pourrait également modifier les grands courants océaniques et la circulation de l’eau, des mécanismes qui intéressent particulièrement les scientifiques, comme l’explique Damien Desbruyères.

« La circulation thermohaline, ou circulation permanente à grande échelle de l’eau des océans, c’est comme un grand tapis roulant qui évolue lentement dans le temps. Le réchauffement de surface et la fonte des glaces, en rendant les eaux plus légères, pourraient inhiber la formation des eaux profondes aux hautes latitudes, un maillon essentiel de cette circulation et la principale source de renouvellement de l’océan profond et abyssal. »

Signe de cet intérêt, le prochain document du GIEC, qui sera rendu public en septembre 2019, portera sur les incidences des changements climatiques sur les océans et la cryosphère.

LE MONDE – Par Adrien Simorre Publié le 11 janvier 2019 à 17h38