A peine découvert, déjà menacé – Plongée dans le mystérieux récif corallien de l’Amazone, unique au monde

17 Mar

A peine découvert, déjà menacé – Plongée dans le mystérieux récif corallien de l’Amazone, unique au monde

L’existence de ce récif, long de plus de 1 000 kilomètres, n’a été confirmée qu’en 2016. Cet écosystème, situé au large de l’embouchure du fleuve Amazone, est déjà menacé par les forages pétroliers. Mais il réserve encore de nombreuses surprises.

Des coraux et des poissons sont photographiés par une mission scientifique de Greenpeace sur le récif corallien de l’Amazone, au large du Brésil, le 28 janvier 2017. (GREENPEACE BRAZIL)

Il est longtemps resté caché dans la boue. Un gigantesque récif corallien a été capturé pour la première fois en photo par un bateau de Greenpeace parti en exploration au large des côtes du Brésil. Les clichés de sa faune et de sa flore colorées, rendus publics lundi 30 janvier, ont surpris jusqu’aux scientifiques. Et pour cause : le récif, dont l’existence est confirmée depuis moins d’un an, est situé à 200 km au large de l’embouchure de l’Amazone. Son existence même est encore mystérieuse : il s’est développé dans une eau saumâtre chargée de sédiments charriés par le gigantesque fleuve, alors que les coraux ont normalement besoin de lumière pour survivre. Franceinfo plonge à la découverte du mystérieux récif de l’Amazone.


Des oursins blancs et des algues calcifiées sont photographiés sur le récif corallien de l’Amazone, au large du Brésil, le 31 janvier 2017. (GREENPEACE BRAZIL)

Une hypothèse vieille de 40 ans
Les scientifiques soupçonnaient l’existence d’un récif corallien au large de l’embouchure de l’Amazone depuis les années 1970. « La présence de poissons récifaux, qui vivent dans des habitats coralliens, avait été observée dans cette zone », explique Edina Ifticene, chargée de la campagne Océans de Greenpeace, à franceinfo. Mais cette théorie était impossible à vérifier à l’époque à cause du « manque de financement et de l’absence de la technologie nécessaire pour explorer les fonds », note Ronaldo Francini Filho, chercheur en biologie marine à l’université de Paraïba (Brésil), membre de la mission de Greenpeace.

Quarante ans plus tard, une équipe de chercheurs américains et brésiliens s’est à nouveau penchée sur cette étonnante hypothèse. Ils ont d’abord cartographié les fonds à partir d’ondes sonores, rapporte Futura Sciences. La découverte a été de taille : un récif de 1 000 kilomètres de long, s’étendant de la Guyane au Brésil, et situé entre 30 et 120 mètres de profondeur.


Le récif corallien de l’Amazone s’étend de la Guyane à l’Etat brésilien de Maranhao. (DIEGO MIRANDA / FRANCEINFO)

Les scientifiques ont ensuite effectué des prélèvements, lors d’expéditions menées au large du Brésil entre 2010 et 2014. Les analyses effectuées en laboratoire ont permis de confirmer la présence de coraux, de plus de 60 espèces d’éponges ou encore de 73 espèces de poissons, dissimulés dans les eaux boueuses. Ce n’est que deux ans plus tard que les conclusions des chercheurs ont été officiellement publiées dans la revue Science Advances (article en anglais).
Observer les coraux dans leur milieu naturel

Une nouvelle étape de la découverte de ce milieu est désormais franchie. L’ONG Greenpeace organise une mission d’observation de deux semaines à bord de son bateau L’Esperanza pour aller sonder ce trésor naturel. Trente-neuf personnes, dont des scientifiques, des membres d’équipage et des journalistes, embarquent, mardi 24 janvier, pour en rapporter les premières images. Deux sous-marins, capables de descendre jusqu’à 600 mètres de profondeur, permettent aux membres de la mission de s’aventurer près des récifs.


Le scientifique Fabiano Thompson et le membre de Greenpeace Jozeph Lowyck plongent à la découverte du récif corallien de l’Amazone, le 28 janvier 2017, au large du Brésil. (MARIZILDA CRUPPE / GREENPEACE BRAZIL)

« Les prélèvements effectués auparavant ont été traités en laboratoire : cette fois, nous pouvons observer ces coraux dans leur milieu naturel », se réjouit Edina Ifticene. « Nous ne connaissons presque rien de l’étendue et de la richesse de ce récif en termes de biodiversité, abonde Ronaldo Francini Filho. Chaque plongée nous apporte des informations essentielles. »
Coraux, éponges et raie manta

Eponges barils, escargots de mer, corail mou, corail noir, crustacés… Les images récoltées ont déjà permis d’identifier plusieurs espèces. Différentes sortes de poissons ont également été observées, dont potentiellement deux nouvelles espèces de poissons papillons, selon Ronaldo Francini Filho. Un journaliste du Monde, qui a eu l’occasion de plonger à 95 mètres de profondeur lundi 30 janvier, a également croisé la route d’une raie manta de 3 mètres d’envergure.

Une raie manta nage près du récif corallien de l’Amazone, au large du Brésil, le 31 janvier 2017. Le jour précédant, un journaliste du « Monde » avait également croisé une raie manta lors de sa plongée. (GREENPEACE BRAZIL)

Ces découvertes ne sont-elles que les premières d’une longue série ? Les récifs de l’Amazone n’ont certainement pas encore livré tous leurs trésors. L’océanographe brésilien Fabiano Thompson estime que seuls 10% de cette zone de 9 500 kilomètres carrés seront connus d’ici la fin de la mission de Greenpeace. « Il faudrait un an ou plus pour cartographier la totalité du récif, évalue Ronaldo Francini Filho. Etudier sa biodiversité et les facteurs environnementaux qui le régissent pourrait prendre des dizaines d’années ! »

La tâche s’avère d’autant plus ardue que les scientifiques avaient, dans un premier temps, sous-estimé la richesse de cet écosystème. « Nous avons constaté que le nombre d’espèces et l’hétérogénéité des habitats du récif sont bien plus importants que ce que nous avions anticipé », poursuit le spécialiste de biologie marine. Les espèces observées varient ainsi beaucoup d’une zone du récif à une autre. « Nous avons découvert beaucoup plus de rhodophytes [des algues calcifiées] et d’éponges au Nord », ajoute Edina Ifticene.
Des coraux qui survivent sans lumière

Des spécimens jusqu’ici inconnus des scientifiques pourraient donc se cacher parmi ces coraux, mais des recherches scientifiques plus poussées, avec des prélèvements, seraient nécessaires pour prendre toute la mesure de cette biodiversité sous-marine. « Cela permettrait aussi de comprendre comment le récif s’est formé, insiste Edina Ifticene. Existait-il avant la formation du fleuve Amazone ? Est-ce qu’il s’est développé par la suite, en fonction des courants, des sédiments charriés par le fleuve selon la saison ? Ce sont autant de questions auxquelles on ne peut pas répondre pour l’instant. »

Car ce trésor naturel est entouré de mystères. « Le récif se situe dans une zone dans laquelle les coraux ne sont pas censés se développer », rappelle Ronaldo Francini Filho. Leur présence au milieu de ces eaux saumâtres pourrait s’expliquer par une symbiose avec des bactéries qui se reproduisent grâce à la chimiosynthèse. « Ce processus produit de la matière organique et de l’énergie à partir du dioxyde de carbone, de l’eau et d’autres substances non organiques (comme l’ammoniaque, le fer, le nitrite et le soufre), sans lumière », explique Greenpeace à franceinfo.

« En étudiant comment ce récif se développe dans des conditions extrêmes, nous pourrions comprendre comment les coraux en situation de stress peuvent s’adapter, par exemple en cas de changement de température de l’océan, de variation de la salinité ou de l’acidité de l’eau », avance la responsable de la campagne Océans de Greenpeace.
Greenpeace s’inquiète de projets pétroliers

Ces coraux encore méconnus sont toutefois loin d’être protégés de toute menace. Les groupes Total et BP veulent mener des forages d’exploration à proximité de la zone, pour trouver de nouveaux gisements de pétrole à exploiter, explique Greenpeace : le site le plus proche pourrait se trouver « à moins de huit kilomètres » du récif. L’ONG rappelle qu’au moins 92 forages ont déjà été menés dans cette région depuis les années 1960, avec un taux d’incidents de 30%. « Ces puits présentent des risques de marée noire, accrus par les forts courants dans cette zone de l’océan, alerte Edina Ifticene. Une fuite de pétrole serait catastrophique pour le récif, mais aussi pour la mangrove de l’embouchure de l’Amazone, presque impossible à nettoyer. »

Un petit mérou (un coné ouatalibi) se cache dans une éponge baril du récif corallien de l’Amazone, le 28 janvier 2017. (GREENPEACE BRAZIL)

Greenpeace a lancé une pétition en cinq langues pour réclamer aux groupes pétroliers l’abandon de leurs projets de forages, au nom du principe de précaution. L’ONG a également contacté les entreprises pour les avertir de l’existence de cet écosystème exceptionnel, mais indique ne pas avoir reçu de réponse. Elle appelle aujourd’hui à mener des recherches scientifiques plus poussées sur ce récif, qui constitue « un biome [un ensemble d’écosystèmes] unique au monde » selon Edina Ifticene. Les chercheurs embarqués sur L’Esperanza partagent l’espoir que leur travail pourra se poursuivre. « Cette mission est l’un des moments les plus importants de ma carrière scientifique, s’enthousiasme Ronaldo Francini Filho. C’est un véritable rêve devenu réalité ! »

Marie-Violette Bernard – France Télévisions
Publié le 06/02/2017 | 06:12